Axel Messaire, pour France-Soir
Devant la Cour suprême à Washington le 19 avril 2023.
C'est l'hôpital qui se moque de la charité. Tout en prônant l'indépendance, l'Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), un des plus grands réseaux de journalistes d'investigation au monde, cache tant bien que mal des liens financiers profonds avec le gouvernement américain. Un scandale révélé par Médiapart.
Fondée en 2007 par Drew Sullivan et Paul Radu, l'OCCRP a signé de grandes enquêtes dont les noms sont retentissants : Panama Papers, Pandora Papers, ou encore le Pegasus Project. Ses journalistes sont aujourd'hui sur les six continents, et collaborent avec divers journaux nationaux tels que le New York Times, le Guardian ou encore Le Monde.
Cependant, une investigation menée par Médiapart, en collaboration avec Drop Site News (États-Unis), Il Fatto Quotidiano (Italie), Reporters United (Grèce) et la télévision publique allemande NDR, révèle que l'organisme est littéralement sous perfusion de l'État américain. En assurant ni plus ni moins que la moitié de son financement total, ce dernier dicte aussi ses propres règles, ce qui remet en cause la prétendue autonomie de l'OCCRP.
Le secret des sources
Cette mainmise des États-Unis n'est pas vraiment surprenante, puisqu'elle est à l'origine même de l'organisation. Bien que Drew Sullivan ne parle que des Nations Unies (ONU), l'OCCRP a en réalité été fondée grâce au soutien de David Hodgkinson, haut gradé de l'armée états-unienne, et à l'argent du Bureau of International Narcotics and Law Enforcement Affairs (INL), le bureau de coopération policière et judiciaire du département d'État. Pour que ce soit plus discret, ce dernier a simplement transféré ses fonds à l'USAID, l'Agence des États-Unis pour le développement international, qui est devenu fournisseur officiel.
Originellement, les liens entre l'OCCRP et l'armée américaine sont donc étroits. Et, dans ses premières années d'exercice, l'organisation a été intégralement financée par Washington, et l'Open Society Foundations du milliardaire progressiste George Soros, l'empêchant donc de mener la moindre enquête sur les États-Unis.
Plus tard, l'OCCRP bénéficiera de financements plus divers : depuis sa création, il a reçu 1,1 million de l'Union européenne et 14 millions versés par six pays européens, dont le Royaume-Uni (7 millions), la Suède (4 millions), le Danemark, la Suisse, la Slovaquie et la France. Malgré tout, les États-Unis restent loin devant, avec 47 millions d'euros, soit 52 % du total entre 2014 et 2023. Alors, quand les dirigeants de l'OCCRP affirment que ces financements ne compromettent pas l'indépendance des enquêtes, on a du mal à y croire...
Un travail aligné avec les intérêts américains
Aujourd'hui, non seulement Washington dispose d'un droit de veto sur les nominations des hauts responsables de l'OCCRP, mais en plus l'organisation n'a pas le droit d'enquêter sur les États-Unis avec les fonds américains. « Nous sommes fiers que... le gouvernement américain soit le premier donateur public de l'OCCRP... Mais nous savons également très bien à quel point cette relation peut parfois être embarrassante », reconnaît Shannon Maguire, chargée du dossier OCCRP à USAID, comme le rapporte le JDD. Et c'est le moins qu'on puisse dire.
Le journalisme d'investigation, aussi prestigieux soit-il, peut être un outil diplomatique au service des intérêts géopolitiques. L'OCCRP, bien qu'indépendante sur le papier, devient ainsi vecteur d'influence, un maillon de la politique étrangère des États-Unis. D'ailleurs, tous ne s'en cachent pas : selon Michael Henning, fonctionnaire de l'USAID, « nous devons nous assurer que le travail de l'OCCRP est aligné avec les intérêts des États-Unis ». Résultat, de nombreux financements américains sont destinés à des enquêtes spécifiquement ciblées sur des pays qui n'ont pas les faveurs de Washington, comme la Russie ou le Venezuela.
Cela étant dit, l'OCCRP assure aujourd'hui employer des journalistes pour enquêter sur les États-Unis, notamment grâce aux fonds des autres pays. Pas trop quand même ; Drew Sullivan assure que le gouvernement américain « a été professionnel et ne cherche pas à influencer les médias, contrairement à de mauvais acteurs comme la Russie ».
Clairement, il y a des cibles préférées, auxquelles on emprunte les bonnes manières. Médiapart a rapporté que l'OCCRP a cherché à faire pression sur le média avant la publication de l'enquête, menaçant de poursuites judiciaires. L'investigation, oui, mais pas pour tout le monde.
C'est ainsi que l'OCCRP incarne aujourd'hui cette forme de journalisme mondialisé qui a du mal à se défaire véritablement des logiques de pouvoir. La question qui se pose est de savoir si un tel modèle de journalisme – qu'il soit d'investigation ou pas – est encore utile, ou pas.